L'île aux pirates - introduction Sélène

Un petit sourire plisse ses lèvres en coin.

- Juste une derrière chose, Sélène... Jusqu'où es-tu prête à aller pour devenir l'une des nôtres ?

Je fronce les sourcils et regarde Yslaine, incertaine. Mon coeur bat soudain plus vite. Je sens bien que ma réponse aura des conséquences importantes pour mon avenir. Mais lesquelles ? Impossible à savoir.

Encore portée par les souvenirs de mon enfance, je réponds gravement :

Pour devenir une fille perdue, je suis prête à tout, Yslaine. Tout, sauf à infliger des souffrances inutiles à des innocents.

Son sourire se fait sincère.

- C'est bien, Sélène. Janile ne s'est pas trompée sur toi.

Une heure passe, t'amenant un peu plus sur les terres. Vous apprenez que là où vous serez entrainées ou éduquées, selon comment on considère les choses, n'est pas dans la capitale même, que vous n'aurez pas le droit de visiter tout de suite.

Pendant que vos mentors vont discuter avec la directrice, Yslaine vous fait visiter les lieux. Elle commence par le dortoir. Vous dormirez avec les autres filles de la "première classe", qui ont à peu près votre âge. Vous apprenez là que vous aurez à porter les tenues réglementaires et que nul objet personnel ne sera autorisé.

Vous visitez successivement les gymnases, le réfectoire, les salles d'entraînement à la magie. La "promenade" se finit sur la rivière et le lac qui seront, semble-t-il, vos principaux lieux d'entrainement. Tout le centre est entouré d'une forêt dense, à l'exception de l'ouest où se trouve le-dit lac et quelques champs irrigués.

C'est dans ce cadre à l'apparence sereine que la directrice vient vous rejoindre, accompagnée de vos mentors, sauf Janile. Cette femme aux cheveux blancs semble avoir acquis depuis quelques temps déjà la cinquantaine. Tout de suite, elle vous parait sévère, voire revêche et tes compagnes prennent naturellement une posture plus stricte. Sa prise de parole, faite sur un ton autoritaire, ne dément pas cette impression.

- Bienvenue à vous, jeunes filles. Dès demain, vous commencerez la vie de filles perdues, vous deviendrez les disciples d'Eris, cette Magicienne qui a refait le monde lors de la grande Guerre. Vous apprendrez dans un premier temps à travailler votre corps, car il sera votre première ressource en cas de danger. Mais vous apprendrez aussi à communier avec l'eau, et vous apprendrez la magie. Mais la magie n'est pas accessible à n'importe quelles humaines. Il vous faudra savoir faire preuve de sagesse, il vous faudra abandonner vos préjugés et entendre ce qu'est la véritable histoire du monde, loin des mensonges confortables des membres de la Colonne de l'Ordre. Mais cette connaissance, vous ne l'acquérez que si vous en vous montrez dignes. Avant cela, vous passerez des heures éprouvantes d'efforts, d'échecs, de remises en question. Parce que la première chose que nous allons vous enseigner... - elle vous regarde une à une dans les yeux ; les siens semblent faits d'acier - la première chose que nous allons vous enseigner c'est cette règle simple : c'est que vous ne savez rien. Et vous saurez alors, pour toute votre vie, que ce que vous croyez savoir peut être faux. Car se consolider sur des certitudes, c'est faire la même erreur que les disciples d'Orion : c'est oublier d'admettre qu'on peut avoir tort.

Son regard vous vrille de nouveau comme s'il voulait visser en vous cette allégation qui va vous imposer une remise en question permanente. Puis, ne considérant pas que vous puissiez avoir des questions, elle vous quitte comme elle est venue : avec une démarche presque militaire, rapide cependant.

C'est Yslaine qui vous autorise à en poser, pour conclure cette matinée.

Tandis qu'Yslaine demande si nous avons des questions, j'échange un bref sourire avec Varena et Xaviera. Un faible effort pour dissiper la rigueur du discours de notre directrice. Un discours que je ne comprends pas complètement. Des heures éprouvantes, pour admettre qu'on ne sait rien... pour découvrir la véritable histoire du monde ? Renoncer aux mensonges confortables des disciples d'Orion ? De quoi peut-il bien s'agir ?

Je hasarde une question:

- Combien de temps notre entraînement durera-t-il ?

Mais c'est une autre question, que je ne peux exprimer en public, qui tourne et retourne dans ma tête...

* Pourquoi Janile n'est-elle pas venue ici avec tous les autres mentors ? *

- Cela dépend de chacune, mais en général cela dure plusieurs années.

Xaviera intervient alors. Comme t'avait prévenue Varena, tu constates, encore une fois depuis la veille au soir, qu'elle a quelque peu perdu de sa morgue. Mais sa question t'indique que le naturel devrait revenir au galop assez vite...

- Pourquoi n'avons-nous pas droit aux affaires personnelles ?

Yslaine répond, très calme :

- Parce que vous êtes toutes égales sur cette île.

Elle marque un temps d'arrêt, puis ajoute avec un fin sourire :

- Si tu devais prouver dans les temps qui viennent que tu es supérieure à tes camarades, ton mérite même resplendira de lui-même et tu n'auras besoin d'aucune babiole pour le révéler.

La jeune fille rougit. Yslaine laisse un silence s'installer, attendant d'autres questions potentielles. Mais Varena et Héléne ont apparemment été bien briefée par leurs mentors et ne soufflent mot - la naïade du groupe semble même impatiente de passer à la suite. Quant à Xaviera, elle ne semble plus vouloir ouvrir la bouche pour le moment. Tous les regards convergent donc vers toi, la seule susceptible de poser d'autres questions...

Je me sens soudain nerveuse. L'absence de Janile, la réponse d'Yslaine, l'attention de mes compagnes... qu'il est facile de faire un erreur ici, comme j'en ai déjà fait hier avec Varena, sans même le savoir.

Je finis par demander, presque aussi impatiente qu'Hélène et Varena, mais bien plus ignorante de la suite:

- Par quoi commençons-nous ?

Un sourire étire ses lèvres.

Vous rejoingez un groupe de filles arrivées quelques jours plus tôt, et vous formez un groupe d'une vingtaine de jeunes filles dont l'âge oscille entre 11 et 15 ans. La première journée se passe finalement assez tranquillement pour vous. Vous rencontrez les différents professeurs qui vous présentent vos différentes matières. La première phase de l'entraînement semble surtout physique : natation, course, lutte, gymnastique : ce qui est présenté comme la "base" va mettre votre corps rude épreuve.

A la fin de la journée, vous entrez dans une salle de classe semblable à celle où les Nécromans enseignent parfois, avec des tables et des chaises. C'est la première fois depuis la journée que tu vois autre chose que la nature ou un gymnase, et tu es contente de pouvoir t'asseoir un peu. Varena s'assied naturellement à côté de toi. Elle semble tout excitée.

- Notre seul cours non physique du premier cycle d'apprentissage.

Tu vois mal en quoi cela peut autant lui plaire, et pourquoi elle te lance un clin d'œil, semblant guetter tes réactions.

Tu comprends mieux son comportement saugrenu quand tu vois le professeur arriver. Elle ne te lance pas un regard mais, alors qu'elle commence son discours d'introduction, tu sens ton cœur sauter dans ta poitrine.

- Bonjour. Je suis Janile, et je vais avoir la lourde tâche de vous enseigner la véritable Histoire du Continent. Lourde tâche parce que vous croyez savoir beaucoup de choses, qu'il va vous falloir oublier. En effet, vous allez devoir oublier tout ce qu'on vous a dit, y compris pour celles qui ont eu la chance de bénéficier de l'enseignement des Nécromans.

Elle marque une pause et vous regarde toutes longuement. Lorsqu'elle arrive à toi, son regard reste aussi grave mais il te semble apercevoir un clin d'œil rapide.

- L'ignorance n'a pas été un mal. Ce dont je vais vous parler pendant ce premier cycle a été tu pour préserver les êtres vivants d'un danger pour lequel nous nous engageons. Mais c'est l'oubli même dans lequel ils ont été plongés qui nous protège d'eux, briser cette prison c'est déclencher nous-même le fléau.

Après cette première mise en garde, elle vous demande de coucher par écrit ce que vous savez sur les Magiciens, afin de voir, dit-elle, où vous en êtes au niveau des connaissances. La dernière heure du jour, qui sera la dernière de la matinée dès le lendemain, finit donc studieusement. Les copies sont relevées et les filles quittent la pièce lentement et en silence. Le discours liminaire de Janile, suivi d'une heure de pure réflexion, a visiblement marqué les esprits.

Janile reste à son bureau, répondant aux questions d'une jeune fille.

Je m'approche lentement, laissant le temps à Janile de finir sa réponse à la question de la jeune fille. Janile, maîtresse des secrets et de l'histoire du Continent ? Je la savais sage, et puissante, mais comment aurais-je pu deviner... ?

Bien que souriant à Janile, je me sens encore un peu étourdie, encore sous le coup de la légère transe de cette heure appliquée, concentrée. Alors que la jeune fille quitte la pièce, je regarde mon mentor avec un respect nouveau:

- Je ne savais pas... que tu connaissais autant de secrets. Et que tu allais nous les apprendre ! J'ai été si surprise tout à l'heure !

J'ai dû mal à croire les paroles de Janile. Abandonner le monde, l'aventure, tout ce que j'attends avec impatience, comment est-ce que je pourrais jamais... ? Mais lorsque j'ouvre la bouche pour lui répondre, je vois les rides, discrètes, plaisantes, au coin de ses yeux rieurs.

* Il y aura peut-être un temps, oui, un jour, où moi aussi, je penserai comme Janile. *

Et je reste un instant bouche bée, étonnée par mes propres pensées, moi qui jusqu'à présent ne pensais qu'à une chose : vivre l'aventure, aussi vite, aussi fort que je le pourrai !

Je finis par sortir de ma stupeur:

- Je crois que ça ira, même si tous ces exercices physiques vont certainement m'épuiser... au moins les premiers temps. J'espère que je saurai m'en sortir.

Une petite moue indécise ponctue ma phrase.

- Quand les premiers examens auront-ils lieu ?

Elle sourit.

- Tous les jours. Quand tu as accompli à un objectif, tu passes à un autre. Si tu vas vraiment vite, tu peux changer de classe plus rapidement que la moyenne. Seuls tes talents et ta persévérance décideront de ton avancement.

Je me mords nerveusement les lèvres en écoutant les conseils de Janile. Tant d'exercices, de leçons, d'épreuves... Espérons que je réussirai !

Je réfléchis un instant aux paroles de mon mentor. Tout semble clair à présent, sauf peut-être...

- Tu as dit qu'il faudrait oublier tout ce que nous croyions connaître, y compris ce que les Nécromants avaient pu nous apprendre... De quoi, de qui voulais-tu parler ?