Le long voyage - introduction Chrestus

Quinze ans ont passé depuis ta libération. Quinze ans pendant lesquels tu as tenté de te réconcilier avec ton acte à jamais gravé dans ta mémoire. Quinze ans pendant lesquels ton absence de remords, salvatrice pour ta raison, a été une arme pour faire face aux possessions ou aux attaques des ombres égarées. Quinze ans pendant lesquels tu as beaucoup appris, ou ton esprit est allé beaucoup plus loin dans la compréhension des choses qu'aucun simple mortel n'ira jamais.

Il y a quelques jours, tu as reçu ton premier bâton, et tu peux désormais utiliser la magie de manière plus sûre qu'auparavant, tu sens l'énergie circuler dans ce que tu as appris à utiliser aussi comme une arme de combat. Hier, Héchios, le chef centaure de la tribu où s'est faite le rituel, t'a demandé si tu étais prêt à faire le long voyage qui te permettrait d'obtenir le second bâton, et de pouvoir élever un apprenti. Sans hésitation, tu as dit "oui" - depuis longtemps tu attendais ça, quand d'autres, souvent, demandent du temps pour se faire vraiment à l'idée. Mais toi, tu as un rapport avec la mort qui est différent. Elle ne te fait pas peur. Tu sais, tu as compris que seul dans cet autre monde se trouve la paix. Aussi est-ce là le choix de ta destination : le Monde des Ombres.

Tu as toute la nuit pour te préparer. Demain, à l'aube, tu partiras.

[Ce serait bien que tu répondes un jour ^^']

Chrestus contemplait la vue sur Necropolis depuis le sommet de la majestueuse tour de la colonne des Ombres" comme on appelait son ordre en Thana.

Sa ville. Son foyer depuis maintenant 15 ans.

Il avait à peine 7 ans lorsqu'il avait contemplé pour la première fois, sur cette même terrasse les bâtiments aux teintes blanches, grises et surtout noires s'entremêlant jusque loin dans son champ de vision. Dessinant comme un disque de marbre sombre au milieu des cendres des plateaux thanéens.

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7 ans. C'était l'estimation que le centaure avait faite sur son âge, lorsqu'il l'avait présenté aux doyens de l'ordre à leur arrivée. Chrestus aurait été bien incapable de dire si il s'agissait là d'une erreur. Il fait froid sur cette terrasse d'obsidienne, mais le garçon n'en a cure tant le spectacle de la vue sur la ville depuis ces hauteurs l'émerveille, autant qu'il le terrifie.

Vue d'ici, l'activité de ruche de la ville est évidente, pourtant, le calme écrasant et le silence relatif qui y règnent, auraient fait jurer à Chrestus qu'elle n'était peuplée que de fantômes.

Un frisson lui parcouru le dos lorsqu'il entendit la voix du centaure l'appeler derrière lui. Il ne l'avait même pas entendu arriver.

Il lui dit que tout est réglé. Qu'il va être son maître et lui apprendre la magie.

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Chrestus goûta une dernière fois au calme de Necropolis avant de se mettre en route. La coutume voulait qu'avant son épreuve, il était conseillé à un necromans de "revivre sa vie et ses souvenirs", comme à l'instant avant la mort. Le jeune homme descendit donc les imposant degrés d'obsidienne pour refaire mentalement le parcours de son existence au sein de la colonne. Il passe devant les salles de classes et de ceremonies, la bibliothèque...

Arrivé devant le réfectoire, il fit une pause, l'air grave. Comme dans un instant de recueillement.

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12 ans. Aujourd'hui encore Chrestus est seul à sa table. Les autres élèves le craignent. Tous connaissent, par la rumeur, son calvaire et sa fin tragique et cannibale. Pourtant nombre d'entre eux ont des histoires au moins aussi glauques et terribles... Mais aucun n'a, en sus, le sang semi-divin d'un traître renégat qui coule en ses veines. Un sang qui lui donnerait, parait-il, une conscience accrue des Ombres, mais en contrepartie d'une santé mentale branlante et de nombreux cauchemars à en croire ses camarades de chambrée.

Mais Chrestus, en ce moment n'y prête pas attention. Presque obèse, il s'empiffre encore aujourd'hui, de façon presque obsessionnelle. A chaque repas, il engouti des quantités incroyables de nourriture jusqu'à l'indigestion ou même le vomissement.

Photius, passa devant le réfectoire accompagné d'autres professeurs. Observant le scène d'un air accablé. Nombre des autres mages le prenaient pour un monstre et mettaient ses troubles sur le compte des expériences de l'Effacé. Mais Photius lui savait. Il savait que si son élève se gavait autant, c'était par peur. La peur de ressentir à nouveau la faim, cette faim qui lui avait fait commettre l'innommable.

Le centaure fronça un instant les sourcils. Et prit une décision.

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La silhouette svelte de Chrestus passa promptement devant les salles d'entrainement et les cellules d'isolation méditatoire.

Là, son maître lui avait enseigné, avec plus d'acharnement que pour aucun autre élève à accepter ses peurs, pour mieux s'en délier.

Chrestus était désormais capable d'un haut niveau d'ascétisme et dans un état de forme physique qui, sans rivaliser avec celui d'un guerrier, était déjà peu commun au sein des érudits nécromans.

La sensation de faim ne le terrifiait plus comme lorsqu'il était petit. Même si il devait bien avouer que s'endormir sans avoir avalé quelque chose auparavant lui apportait parfois encore des nuits plus agitées qu'à l'accoutumée.

Les pas de Chrestus le menèrent enfin devant la lourde porte d'ébène des quartiers de son maître. Il frappa trois coups secs, puis entra lorsque le silence leur fit réponse.

Photius était là, dans son imposante et pesante robe de cérémonie grise rehaussée de noire pour centaure. Une vision rare (et un peu troublante), les centaures préférant d'ordinaire la nudité.

Le maître planta dans les yeux de son élève son regard gris.

Chrestus le soutint et prononça d'un voix calme les paroles rituelles.

-"J'ai fait défiler ma vie devant mes yeux, fait la paix avec mes erreurs, sourit des bonnes choses... Je me présente à vous prêt et serein pour mon épreuve."

Les lèvres du maître s'arcboutèrent d'un sourire.

- Bien, dit simplement celui qui fut ton mentor. Alors nous allons pouvoir commencer la préparation du rituel. As-tu des questions à poser avant que cela ne débute ?

Chrestus est pensif un instant.

-"Rien ne me vient réellement maître. Je me sens prêt... Avez-vous de votre cotés des recommandations de dernières minutes ?"

- Non, bien sûr. Héchios s'en chargera.

Il marque un temps.

- As-tu fait ton testament ?

Chrestus opine du chef en guise de réponse positive.

-"Je ne possède pas grand chose, mais ce que j'ai je le lègue à vous et à l'ordre. Je vous remercie pour tout. Vous m'avez donné une nouvelle vie effaçant l'ancienne et alors que je m'apprête à passer les portes de la mort, mon coeur, mon esprit et mon ombre, les trois piliers, sont en paix et me permettront d'avancer serein dans l'autre monde."

Après ces paroles rituelles, Chrestus sort des replis de sa robe, un parchemin enroulé et cacheté à la cire, qu'il tend à son mentor.

Ton mentor saisit le parchemin et le pose avec précaution dans une boîte en bois sur son bureau.

- Il est temps d'y aller, dit-il simplement.

Vous descendez les marches de la tour et traversez un jardin organisé en labyrinthe. Vous le traversez en empruntant les raccourcis que tu connais par cœur et arrivez à la tour centrale de l'immense bâtiment qui sert de siège aux Nécromans, et qui est le cœur même de Nécropolis, la capitale de Thana.

Vous arrivez dans le hall central au dallage couvert de paille pour étouffer le bruit que font les sabots des centaures. Tout le bâtiment est à leur taille : les plafonds y sont hauts, les portes larges, les salles grandes. La rumeur qui dit que les Centaures ne vivent qu'en extérieur sont fausses, mais les autres créatures prennent rarement en compte les dimensions de ces créatures qui préfèrent, en conséquence, vivre sans entrave. Mais Nécropolis est une ville faite pour eux, et ce sont les autres créatures qui s'y sentent oppressées, écrasées par les hauteurs et les largeurs qui les ramène à leur petitesse. Mais pour toi tu as appris à aimer ces allées longues, ces espaces larges, ces hauteurs de temple, et tu sais maintenant marcher aussi vite qu'eux.

Tu n'as donc aucun mal à suivre ton mentor étage après étage. La tour semble se rétrécir de plus en plus, mais tu sais que ce n'est qu'un effet d'optique, tout le bâtiment ayant pour but de dénoncer les illusions des sens et de l'esprit. Enfin vous arrivez à une porte seule, qui semble ouvrir sur le centre de l'escalier en colimaçon, que tu avais toujours cru plein.

- C'est ici que commence ton initiation et, d'une certaine façon, ton voyage.

Il glisse une clé dans la serrure.

- C'est à toi d'ouvrir la porte.

Il te désigne la poignée sur laquelle est écrit, en langage divin :

"Ici tout s'achève. Bienvenue au commencement des choses."

Chrestus ferma les yeux un instant, salua son maître une dernière fois puis sans même un mot, ni une hésitation ouvrit la porte et passa de l'autre coté .

La porte se ferme derrière toi, ainsi que son verrou. Tu es sur des planches de bois qui se mettent à descendre lentement. Tu descends avec elles, lentement, lentement et longtemps. Le noir t'empêche de compter les étages que tu franchis ainsi et tu perds la notion de temps.

Puis, soudain, une lumière se fait voir dans une alcôve. Tu as largement le temps de lire "Le temps ne passe pas" avant de t'en éloigner. Puis la torche semble s'éteindre sans que tu ne saches comment, te replongeant dans le noir.

La descente continue toujours... Tu attends, à juste titre, un deuxième message qui vient bientôt : "Quitter le chemin qu'on a su se tracer soi-même, c'est se perdre à jamais. Quitter le chemin qu'on a tracé pour vous, c'est parfois se trouver."

Tout cela ne t'est pas inconnu, on te l'a répété maintes et maintes fois. Finalement, tu ne retrouves là que l'enseignement que l'on t'a prodigué durant toutes ces années, en condensé.

"Tes actes passés définissent ton essence."

"Ne laisse pas l'envie implanter en toi le regret."

Puis la dernière : "Apprends par toi-même".

La lenteur de la descente te laisse le temps de méditer sur ces aphorismes...

Chrestus esquissa un sourire dans le noir.

Ces dernières "recommandations" n'étaient pas anodines, et présageait sans doute des épreuves à venir. Il le savait.

Pourtant il ne pouvait s’empêcher d'y trouver une sorte de réconfort...

Ces phrases qu'il avait entendu depuis l'enfance résumaient parfaitement la philosophie des necromans. Cette pensée particulière mais qui lui avait permis de trouver la paix.

Autodidactie, autodétermination et amour du savoir. Autant de valeur qu'il avait faites siennes au cours des années.

Il avait perdu la notion du temps, mais dans la mort le temps n'avait plus d'importance. Il était la somme de ses expériences passées portées au présent. Il "était" toute son histoire condensée en un instant fugace et pourtant éternel.

Lorsque la dernière lumière s'éteignent, Chrestus s'assoit sur les planches en tailleur.

Attendant patient et attentif, dans le noir, la suite des évènements.