L'île aux pirates - introduction Sélène

Je lace mes chaussures, non sans fébrilité, des questions plein la tête... Puis je cherche un miroir des yeux pour remettre de l'ordre dans mes cheveux et vérifier ma tenue. Pas question de faire mauvaise impression avant même d'avoir commencé l'entraînement !

Une fois prête, je m'avance lentement jusqu'au rideau marquant l'entrée de la tente et je prends une grande inspiration. Je mets sur mes lèvres un sourire que je voudrais confiant, mais qui est sûrement un peu crispé. Et je sors, enfin, prête pour l'inconnu.

* Et maintenant, que la fête commence ! *

Lorsque tu sors, tu es accueillie par des applaudissements et des cris. L'équipage au complet est là, éclairé par le feu de camps qui danse au gré de la brise légère. Varena court vers toi, suivie des autres filles qui commencent toutes à poser des questions sans que tu n'en comprennes une seule dans ce pêle-mêle verbal que la capitaine fait cesser rapidement.

Tu es invitée à t'asseoir prêt du feu tandis que les femmes te tendent assiette, fruits et viande. Ça danse, ça chante, ça rit tandis que tout prêt le ressac apaisant des vagues se fait entendre.

Trois femmes que tu ne connais pas sont assises près du feu. Elles te sourient tandis que Janile leur parle en te regardant. Varena, essoufflée, les joues rouges, s'assoit à tes côtés la première.

- Alors ? Ça s'est passé comment pour toi ?

* Qui sont ces trois femmes ? Nos professeurs ? *

Je souris à Varena, toujours aussi vive malgré la traversée que nous avons connue. Quelle énergie !

- J'ai eu quelques petites surprises en cours de route -- j'ai même croisé les débris d'un naufrage... Mais je ne me suis pas laissée distraire, et j'ai eu de la chance avec les courants !

Et toi ? Tu as pu facilement arriver jusqu'ici ?

Elle te regarde, comme surprise de ta réponse. Elle se penche à ton oreille et murmure :

- On a toutes été aidées... Les lionnes de mer sont venues... Tu as forcément été choisie par l'une d'elles. Ne sais-tu pas son nom ?

- C'était donc ça !

Je continue à voix basse, les yeux brillants:

- A un moment donné, j'ai bien eu l'impression qu'on poussait la planche sur laquelle je nageais. Je croyais que c'était un rêve éveillé, à cause de la fatigue ou du soleil. Mais ça devait être une lionne de mer...

Je m'arrête, étonnée par la dernière remarque de Varena:

- Son nom ? Comment est-ce que je saurais son nom ?

- Eh bien... Par télépathie ? Nous connaissons toutes le...

Elle s'arrête, ne voulant pas te froisser.

- Mais mange ! Il faut reprendre des forces, la nuit sera longue !

Un des membres de l'équipage t'apporte un godet plein d'une sorte de liqueur orangée. C'est Varena qui le prend, comme tu n'as plus de main de libres.

- Après tu boiras ça ! Tu verras....

Elle se fait interrompre par Héléne qui court vers vous et manque de chuter quand elle arrive devant Varena. Elle s'esclaffe et demande, toute excitée :

- Alors ? Alors ? Alors ? Elle s'appelle comment la tienne ?

Alors que j'étais prête à me laisser porter par l'atmosphère joyeuse de la soirée, les rires et les chants autour de moi me semblent soudain étouffés. Je sens un frisson désagréable descendre mon échine tandis que Varena me parle.

* Par télépathie ? Mais alors, pourquoi est-ce que je n'ai rien entendu ? J'ai bien ressenti la lionne sans savoir vraiment qui elle était... Est-ce que quelque chose ne va pas avec moi ? Est-ce que j'ai raté l'épreuve en croyant la réussir ? Mais pourtant, Janile m'a dit le contraire... *

Les questions tournoient dans mon esprit, et plus encore quand Hélène arrive. Je finis par lancer un regard troublé à Janile...

* Que se passe-t-il ? *

Janile croise ton regard inquiet et fronce des sourcils, inquiète. Elle te sourit cependant en te faisant signe de te restaurer. A côté d'elle, l'une des deux femmes a aussi perçu ton regard et se tourne vers Janile, tout en continuant une discussion dont il te semble deviner le sujet.

Cependant, à tes côtés, la discussion ne s'arrête pas.

- Sélène ? s'inquiète Hélène.

- Bah laisse-la tranquille, elle n'a pas encore bu son elixir, elle doit être fatiguée...

- Alors vite vite qu'elle le boive, qu'on puisse s'amuser !

Je m'efforce d'afficher un sourire silencieux à Hélène et à Varena, tout en mâchant plus que nécessaire mon pain... pour mieux éviter de répondre aux questions de mes camarades.

* Je suis vraiment la seule... à ne rien avoir entendu ? *

Un peu pour m'aider à avaler la mie qui encombre ma bouche, mais surtout pour me donner le courage d'affronter les problèmes qui s'annoncent, je porte à mes lèvres le verre rempli de liqueur orangée. Un élixir ? Un fortifiant ? En tout cas, de quoi me donner le courage d'aller demander des explications à Janile dès que possible...

Le breuvage est doux et fort à la fois. Il te fait un peu tousser mais très vite tu te sens bien. Les muscles te font moins souffrir et surtout tu te sens plus légère. Plus rien n'a réellement d'importance et quand tu sens Varena t'aider à te lever, tu n'opposes aucune résistance. Les instruments de musique t'appellent...

Je sens à peine le sol sous me pieds alors que je suis Varena parmi les danseurs, Rapidement mon corps s'abandonne à la musique qui le traverse. Plus de crainte, plus de questions... ce sera pour demain, pour plus tard... peut-être...

Seuls comptent la douceur des violons, l'entêtement des flûtes, à puissance des tambours. Et mes bras, et mes jambes, qui suivent sans peine le rythme lancinant des instruments.

Et dans la ronde qui m'entraîne à présent, main dans la main avec Hélène, je ris avec plaisir, plus heureuse que jamais, toute à la musique, toute à la danse.

Lorsque tu te réveilles le lendemain matin, tes jambes sont lourdes d'avoir dansé toute la nuit. Les souvenirs sont brumeux, tu te rappelles de rires, de cris, des lèvres légères de varena sur ta joue, du regard de tristesse de Xaviera et de son visage abîmé par la brûlure d'une méduse.

Des flashs qui ressemblent aux filaments un peu flous qui restent parfois des rêves au réveil.

A tes côtés, Janile, souriante, qui s'affaire dans la pièce. Elle n'a pas encore vu que tu étais réveillée, elle semble regrouper les quelques affaires disséminés sous la tente.

Les allées et venues de Janile me rassurent. La simplicité du quotidien après l'exaltation de cette nuit. Je finis par murmurer d'une voix encore pleine de sommeil:

- Bonjour Janile...

Je me lève de mon lit en frissonnant légèrement, malgré l'air plutôt doux du matin. Quelques pas... Ouh. Mes jambes. Je passe une main dans mes cheveux, étonnée par mes propres souvenirs, et j'ajoute dans un petit rire incrédule:

- Quelle nuit ! Est-ce que c'est toujours comme ça, ici ?

Lorsque tu l'interpelles, elle se tourne vers toi, souriante.

- Bonjour Sélène.

Elle s'approche de toi après avoir pris des vêtements qu'elle pose près de toi.

- Non, pas tous les soirs. Les premiers mois, tu seras si fatiguée que tu t'endormiras très tôt. L'entrainement est très éprouvant tant physiquement que mentalement, tu verras. Mais il est vrai que nous savons faire la fête, ajoute-t-elle avec un clin d'œil.

Elle marque une pause et ajoute :

- Comment vont tes brûlures ?

Je m'habille maladroitement, les bras encore ankylosés. La tunique glisse doucement sur ma peau sans l'irriter.

- Je crois que ça va, maintenant.

La brûlure de Xaviera, les questions insistantes d'Hélène... Les souvenirs continuent à revenir à mon esprit. Je me mords les lèvres avant de me décider à interroger Janile.

- Hier, Varena m'a parlé de quelque chose... Elle m'a dit que des lionnes de mer nous avaient choisies pour nous aider pendant l'épreuve. Les autres filles ont pu communiquer avec elles.

Encore une hésitation, et puis...

- Pas moi. Qu'est-ce que ça veut dire ?

Elle arrête son activité, t'écoutant avec attention. Quand tu as fini, elle s'approche de toi, pose sa main sur ton épaule. Son ton est bas, et tu te doutes qu'elle s'est autant approchée autant pour te réconforter que pour ne pas avoir à parler fort.

- Je ne sais pas ce que cela veut dire, j'avoue que ce n'est pas habituel. Mais l'important est qu'elle soit venue, et qu'elle t'ait aidé. Sois honnête si on te pose la question, mais ne propage pas la rumeur de toi-même. Mais Varena a fait une erreur en te posant la question, nos liens avec les lionnes ne concernent que nous.

Elle te sourit et te tapote le bras affectueusement.

- Ne t'inquiète pas pour ça. Je suis sûre qu'il doit y avoir une explication.

Réconfortée par les paroles confiantes de Janile, je lui réponds doucement, dans un sourire un peu forcé:

- J'espère... Merci, Janile.

Je soupire un grand coup, comme si j'espérais chasser autant l'air de mes poumons que les soucis de mon esprit, puis je reprends avec une vivacité renouvelée:

- Bon, au travail ! Quel est le programme ?

Elle sourit en réponse à ton sourire contrit mais n'insiste pas. Elle préfère répondre directement à ta dernière réponse.

- Nous allons remonter directement la rivière pour aller à Erilia, la capitale. Là, l'école des naïades te recevra, tu dormiras dans un dortoir et dès demain tes cours commenceront. Je préfère te laisser découvrir quels ils seront, dit-elle en continuant à sourire. Mais ne crois pas qu'aujourd'hui sera de tout repos, vous allez devoir participer aux manœuvres, même si la navigation en eau douce est plus sereine que celle en mer. Ça te fera une première réelle expérience de marin. Même si tu ne choisis pas cette voie en tant que fille perdue, c'est là une possibilité qu'il ne faut pas négliger. Mais je suis déjà à peu près sûre de la voie que tu choisiras, et ce ne sera pas celle-là...

- Oh ? C'est vrai ! Tu sais déjà ?

Je reste ébahie par la déclaration de Janile. Un peu excitée de savoir que j'ai un avenir parmi les filles perdues, un futur bien plus palpitant que tout ce que j'ai pu connaître jusqu'à maintenant. Et puis, assez fière de mon mentor, qui peut si facilement lire dans l'avenir. Dans le mien en tout cas.

- Pour moi, en tout cas, ça reste toujours très, très flou... Mais je ne vais pas te poser de question là-dessus, parce que je sais que tu ne me répondras pas, n'est-ce pas ?

Elle rit devant ton excitation et confirme d'un hochement de tête ta question qui n'en est pas une.

Vous démontez ensuite la tente que vous amenez jusqu'au navire à fond plat qui vous attend sur la rivière dont avait parlé ton mentor. C'est le moment des adieux avec l'équipage de l'ancien navire qui va prendre la direction du port, que vous ne verrez pas cette fois-ci. Tu retrouves tes nouvelles compagnes et les deux professeurs qui, déjà installées, continuent à vous observer. Tu as la désagréable impression d'être évaluée sans savoir sur quels critères.

Hélène, Xiviera, Varena et toi contribuez donc à diriger le navire mais, comme l'avait dit Janile, ce n'est ni difficile ni fatigant - ou du moins cela ne le serait pas si tes muscles ne se remettaient de la nage de la veille.

Cependant, au bout d'un moment, l'un des deux professeurs se lève et vient te voir, faisant signe à un membre du petit équipage de prendre ta relève.

Elle t'amène à la proue où personne ne peut vous entendre.

- Bonjour, je suis Yslaine.

Elle est rousse et plus tout à fait jeune, si tu en crois les rides qui plissent le coin de ses yeux marron et de ses lèvres pleines, si tu en crois les quelques fils d'argent qui parcourent sa crinière frisée. Son regard semble amical - si ce ne sont ses tâches de rousseur qui donnent cette impression. Pourtant, la largeur de ses épaules et de ses mains - que tu remarques particulièrement grandes lorsqu'elle ramène ses cheveux en arrière -, la cicatrice qui parcourt son cou et l'épée dont tu aperçois le pommeau sous la longue cape te laisse songer qu'il ne s'agit sans doute pas du professeur de chant...

Je me mordille les lèvres nerveusement alors que je suis Yslaine à la proue du navire. Mais lorsqu'elle se tourne vers moi, je me reprends, soudain aux aguêts... et je tente de répondre à la guerrière sur un ton faussement assuré :

- Bonjour, on m'appelle Sélène.

* Elle le sait, évidemment, mais que dire d'autre ? Et que veut-elle de moi ? *

Elle hoche la tête lentement, comme si ta réponse n'était pas si anodine qu'il n'y parait.

- J'imagine que ton mentor t'a expliqué ce qu'il allait se passer pour toi dans les prochains jours. Tu vas vivre 24 heures sur 24 avec d'autres filles, et être soumise à des tests physiques important. Appréhendes-tu cela ?

Son ton ni son regard ne sont inquisiteurs. Bien que la question puisse être un test en elle-même tu as l'impression de pouvoir lui faire confiance...

Je réponds sans attendre:

- Inquiète ? Un peu, oui. On a toujours un peu peur de ce qu'on ne connaît pas... Mais aussi curieuse de découvrir, d'apprendre. Et prête à faire de mon mieux pour réussir.

* Tout mon caractère en quelques phrases... Mais est-ce que cela suffira ? Et pourquoi Yslaine me pose-t-elle cette question ? *

Elle se tait quelques secondes qui te paraissent des siècles, méditant avec un vague sourire sur tes quelques mots.

Brusquement, elle te regarde de nouveau et te demande :

- Et pourquoi es-tu là, maintenant, ici, sur ce bateau à discuter avec moi ?

* Pourquoi est-ce que je suis-là ? Tout ce chemin depuis Althem... Papa, maman, Tig', Janile... et Bern. *

Le souvenir du prêtre de l'ordre me fait serrer les poings. Regardant l'horizon, je réponds à Yslaine:

- Pourquoi est-ce que je suis sur ce bateau ? Parce qu'un jour, je n'ai pas accepté l'injustice que des hommes commettaient en prétendant faire le bien.

Pourquoi est-ce que je suis là à discuter avec toi ? Parce que tu veux savoir ce que je suis... et ce que je vais devenir. Tout comme moi.

* Ai-je raison ? Ou tout cet interrogatoire aurait-il un autre but qui m'échappe ? *